- SUEZ (CANAL DE)
- SUEZ (CANAL DE)Le projet d’ouvrir une voie de communication maritime entre la mer Méditerranée et la mer Rouge avait été conçu et réalisé dès la plus haute antiquité, par les pharaons. Mais il ne s’agissait alors que d’une voie d’eau précaire, détruite au VIIIe siècle après J.-C., et c’est seulement en 1869 que les deux mers furent réunies par un véritable canal, accessible aux plus grands navires de l’époque.L’idée du percement de l’isthme avait été envisagée de façon concrète à partir de 1820 et des études sérieuses entreprises. Un diplomate français, Ferdinand de Lesseps, s’efforça, avec patience et obstination, de les faire aboutir. Ayant obtenu un acte de concession du vice-roi d’Égypte, il fonda la Compagnie universelle du canal de Suez, et celle-ci construisit le canal de 164 km qui transforma le commerce maritime international. À travers cette voie, des navires de toutes nationalités transportèrent des marchandises dont le tonnage augmenta de manière considérable depuis sa mise en service jusqu’à sa fermeture, en 1967.La liberté et la sécurité de la navigation dans le canal posèrent des problèmes juridiques qui furent réglés par différents accords, et en dernier lieu par la convention de Constantinople de 1888; les principes qui y furent définis permirent d’éviter tout litige jusqu’à la création de l’État d’Israël.À la suite des opérations militaires de 1956 qui, trois mois après la nationalisation du canal, opposèrent l’Égypte à la France et à la Grande-Bretagne d’une part, à Israël de l’autre, la voie d’eau fut coupée pendant six mois. De grands travaux de modernisation étaient projetés lorsqu’une nouvelle guerre entre l’Égypte et Israël provoqua, en 1967, la fermeture du canal qui ne fut ouvert à la navigation qu’en juin 1975.Les caractéristiques du canalLe canal franchit, du nord au sud, quatre zones différentes. À partir de Port-Saïd, bâti sur un bourrelet de sable, il traverse pendant 40 km les terrains inondés qui bornent le lac Manzala. Il franchit ensuite une région de seuils, pénètre dans le lac Timsah, au bord duquel a été bâtie la ville d’Ism ‘ 稜liya, et atteint la dépression des lacs Amers. Il suit les cuvettes communicantes de ces deux lacs, autrefois desséchés. Enfin, pendant 25 km, il longe les contreforts rocheux qui séparent le bassin du Nil de la mer Rouge, et atteint le golfe de Suez à Port-Tawf 稜q, 3,5 km au sud de la ville arabe de Suez.La longueur totale de ce canal à niveau (c’est-à-dire ne comportant pas d’écluse) est de 164 km. Lors de sa mise en service (1869), sa profondeur variait de 7 à 8 m, ce qui était suffisant pour permettre le passage des gros navires de l’époque, et sa largeur était d’une vingtaine de mètres, ce qui exigeait le croisement dans des gares.L’augmentation rapide du nombre des navires transitants, de leur tonnage et de leur vitesse, conduisit la compagnie gérante à exécuter de nombreux travaux pour adapter le canal aux besoins nouveaux: augmentation de la profondeur, et surtout de la largeur de la voie d’eau pour permettre le croisement des navires en tout lieu, consolidation des talus et modification de leurs profils, aménagements des installations portuaires. De la mise en service à 1948, six programmes d’amélioration portèrent la largeur minimale du canal à 60 m, et sa profondeur à 11,70 m (permettant le passage de transiteurs de 10,36 m de tirant d’eau). Malgré ces transformations, l’apparition de très gros bateaux – en particulier des pétroliers – nécessita bientôt la formation de convois se croisant dans les lacs Amers; pour accélérer les transits, une autre zone de croisement fut prévue par le septième programme: un canal dérivé doublant le canal principal entre les kilomètres 50 et 60 (à partir de Port-Saïd); il fut mis en service en 1951. La nationalisation de 1956 n’interrompit pas la poursuite des travaux d’aménagement. Lorsque le canal fut fermé, en 1967, l’Égypte avait obtenu du Koweit un prêt de 9,8 millions de livres pour le financement des travaux devant permettre, en 1972, le passage de navires de 12,50 m de tirant d’eau, ce qui correspond à des pétroliers de 110 000 t. Le trafic du canal a suivi une progression indiquée par ces quelques chiffres: 434 000 t en 1870, 154 Mt (millions de tonnes) en 1958, 275 Mt en 1966.Antiquité de la voie d’eauCe sont les pharaons de la XIIe dynastie (2000-1788 avant notre ère) qui, les premiers, joignirent la Méditerranée à la mer Érythrée par une voie d’eau. Leurs navires remontaient le Nil jusqu’à Bubaste (Zagazig), empruntaient un premier canal jusqu’aux lacs centraux, un second jusqu’au golfe de Suez. Perfectionnée par les Ptolémées, cette voie d’eau fut, sous le nom de «fleuve de Trajan », largement utilisée par les Romains pour commercer avec l’Arabie, l’Inde et la Chine.Les Byzantins n’entretinrent pas ces canaux qui furent bientôt ensablés. Mais en 640, lors de la conquête de l’Égypte par les Arabes, le calife Amr ibn-al-As les fit restaurer, afin de pouvoir atteindre plus aisément les cités saintes d’Arabie. Cent trente-cinq ans plus tard, Médine s’étant révoltée contre le calife Mansour, celui-ci fit combler la voie d’eau pour couper l’approvisionnement des insurgés. La nature acheva rapidement l’œuvre de destruction des hommes. Le bras oriental du Nil se détourna vers l’ouest, et les lacs s’asséchèrent.La réalisation du canal actuelEn 1498, Vasco de Gama doublait le cap de Bonne-Espérance et ouvrait une nouvelle route maritime des Indes. Les négociants de Venise et de Marseille n’en conçurent pas moins, dès le XVIe siècle, le projet de restaurer la route de Suez, afin de ramener en Méditerranée, et par conséquent dans leurs ports, la plus grande partie des navires qui les avaient abandonnés. Cependant, aucun projet concret ne fut conçu jusqu’en 1798, date à laquelle le gouvernement français du Directoire organisa l’expédition d’Égypte. L’un des buts de celle-ci était d’étudier les possibilités de percement de l’isthme de Suez, et plusieurs savants, dont J.-B. Le Père, accompagnèrent Bonaparte pour procéder à ce travail. Le rapport de Le Père parut en 1808; malheureusement, par suite d’une erreur de triangulation, il concluait à une différence de près de 10 m entre les niveaux de la Méditerranée et de la mer Rouge, ce qui avait pour effet de compliquer considérablement le schéma proposé. Mais l’idée du percement était lancée, et son application allait rapidement progresser grâce à quelques hommes de talent et de caractère (M. A. Linant de Bellefonds, les saint-simoniens et Ferdinand de Lesseps) et à la présence, à la tête du pays, d’un vice-roi épris de progrès, ouvert à toutes les conceptions modernes: Méhémet-Ali.Ancien officier de marine, ingénieur en chef des travaux de la Haute-Égypte, Linant de Bellefonds, avait, dès 1821, étudié la possibilité de creuser un canal des Deux-Mers, et élaboré deux projets, l’un de percement direct de l’isthme, l’autre de percement combiné, avec l’utilisation des bras du Nil. En 1832, la nomination à Alexandrie du vice-consul de France Ferdinand de Lesseps, dont le père avait été l’ami de Méhémet-Ali, lui apporta un précieux soutien politique. En 1833, un autre événement favorisa son entreprise: le débarquement des saint-simoniens, venus tout spécialement pour réaliser un canal qui ferait de la Méditerranée «le lit nuptial de l’Orient et de l’Occident». Les saint-simoniens étaient des utopistes, mais aussi de remarquables ingénieurs. Ils mirent en forme techniquement les deux projets de Linant de Bellefonds, s’attachant surtout au second, auquel ils donnèrent une ampleur démesurée qui provoqua l’insuccès de la «Société d’études» qu’ils avaient créée pour le réaliser. Pendant ce temps, Lesseps, placé en disponibilité pour raisons politiques, polissait, dans sa retraite du Berry, le schéma qui allait devenir définitif. Il opta pour le projet du tracé direct; techniquement, il adopta l’étude des saint-simoniens; il choisit de demander une concession au vice-roi d’Égypte, et non à son suzerain théorique, le sultan; enfin, pour dépolitiser le problème, il décidait de présenter avant tout l’aspect commercial de l’entreprise et de créer une compagnie internationale. Le projet de Ferdinand de Lesseps était parfaitement au point; il ne manquait que l’occasion de le faire adopter; celle-ci se présenta en 1854 lorsque, Méhémet-Ali étant mort, son fils Mohammed Saïd lui succéda. En effet, si le père de Ferdinand de Lesseps avait été l’ami du premier, lui-même était l’ami du second. Dès son accession au trône, Mohammed Saïd pria Lesseps de venir en Égypte pour lui exposer ses idées sur le développement possible du pays. Le 25 novembre 1854, il signait un acte de concession lui donnant le pouvoir exclusif de constituer une compagnie pour le percement de l’isthme de Suez et l’exploitation du canal entre les deux mers.Lesseps avait franchi un grand pas, mais il n’avait pas vaincu toutes les difficultés. Le gouvernement britannique craignait très vivement que la nouvelle voie d’eau, créée à l’initiative de Français, dans un pays où ceux-ci jouissaient alors d’importants privilèges, ne se trouvât sous le contrôle de la France; situation qu’il ne pouvait admettre en raison de son inflexible volonté de dominer toutes les routes des Indes. Cette opposition britannique se manifesta soit directement (envoi d’une flotte devant Alexandrie en 1859), soit indirectement, par l’intervention de l’ambassadeur à Constantinople, lord Palmerston, auprès du sultan; elle n’empêcha pas Lesseps de constituer, le 15 décembre 1858, la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, et de commencer les travaux.Au mois de janvier 1863, Mohammed Saïd mourut. Son neveu et successeur, Ismaïl Pacha, ne manifesta pas la même indépendance à l’égard du suzerain turc. L’oncle avait passé outre la décision du sultan d’arrêter les travaux; le neveu appliqua celle qui interdisait l’emploi de travailleurs égyptiens. Lesseps surmonta cette nouvelle difficulté. Le recrutement en France, en Italie, dans les Balkans, de 15 000 ouvriers, la mise en œuvre des moyens les plus modernes de l’époque, permirent de pallier les effets de la défection égyptienne; mais ils nécessitèrent de telles dépenses que le coût final de l’opération se trouva porté à 437 millions de francs, au lieu des 160 millions initialement prévus. L’entreprise se trouva au bord de la faillite; l’énergie de Lesseps la sauva. Par ses voyages en Angleterre, ses contacts avec les négociants et les armateurs du pays, il atténua l’hostilité britannique; et surtout, il réussit à obtenir un ferme appui de Napoléon III.La jonction des deux mers eut lieu le 15 août 1869, et, deux jours plus tard, le canal fut inauguré par l’impératrice Eugénie à bord du yacht Aigle , suivi de soixante-dix-sept navires de toutes les nations maritimes.Le statut international du canalLa Compagnie universelle de Suez, chargée principalement de construire et d’exploiter le canal, était une entreprise internationale, au capital de 200 millions de francs, dont les actions furent offertes dans tous les grands pays. Les Français furent les seuls à montrer de l’intérêt pour l’affaire, en souscrivant plus de la moitié du capital. Le vice-roi d’Égypte prit à sa charge les actions non levées, soit 21 p. 100 du capital. La part égyptienne fut rachetée en 1875 par l’Angleterre, qui se trouva posséder près de la moitié des actions. Le caractère international du canal était ainsi financièrement établi; il le fut politiquement par une série d’accords ayant pour objet sa neutralité et la sécurité de sa navigation. Signée après l’occupation de l’Égypte par les Britanniques, la convention de Constantinople, du 29 octobre 1888, fut la plus importante, stipulant que le canal serait «libre et ouvert, en temps de guerre comme en temps de paix, à tout navire de commerce ou de guerre, sans distinction de pavillon [...] qu’il ne serait jamais assujetti à l’exercice du droit de blocus [...] qu’aucun acte ayant pour but d’entraver la libre navigation ne pourrait être exercé dans le canal et ses ports d’accès».Ces conventions résistèrent à toutes les vicissitudes de la politique internationale jusqu’à la création de l’État d’Israël, en 1948. Malgré plusieurs interventions du Conseil de sécurité de l’O.N.U., l’Égypte refusa en effet, de façon constante, le passage des navires israéliens, et, de façon intermittente, le transit des marchandises en provenance ou à destination d’Israël.Nationalisation et fermeture du canalLa Compagnie du canal de Suez avait obtenu une concession de 99 ans qui devait expirer le 17 novembre 1968. Le 26 juillet 1956, dans une situation politique complexe, le colonel Nasser, président de la République égyptienne, la nationalisa. Cette décision fut refusée par la France et la Grande-Bretagne, qui réunirent à Londres trois conférences des usagers du canal, puis, après le rejet par le président Nasser des propositions formulées, saisirent le Conseil de sécurité. Avant que celui-ci n’ait pris une décision, le 29 octobre, l’armée israélienne entrait en Égypte, précédant de quelques jours une intervention franco-britannique. Devant les pressions internationales, en particulier celles des États-Unis et de l’U.R.S S., les puissances attaquantes durent bientôt retirer leurs troupes. Mais, dès le début du conflit, les Égyptiens avaient bloqué le canal en y coulant une quarantaine de navires. Les Nations unies se chargèrent de la remise en état du canal, qui fut de nouveau ouvert à la navigation en avril 1957.Le 24 avril 1957, l’Égypte adressa au secrétaire général de l’O.N.U. une déclaration dans laquelle elle s’engageait à respecter la convention de 1888 et à accepter l’arbitrage de la Cour internationale de la Haye en cas de conflit. Les actionnaires de la Compagnie reçurent à titre d’indemnisation 28 millions de livres égyptiennes, le dernier versement étant effectué en janvier 1963.À partir de la réouverture de 1957, l’Égypte géra seule le canal, à la satisfaction de tous les usagers, exception faite d’Israël, dont les navires et les marchandises continuèrent à être privés du bénéfice de cette voie d’eau.Au mois de juin 1967 éclata une nouvelle guerre égypto-israélienne. Les Israéliens, après deux journées de combats, occupèrent la rive orientale du canal qui fut alors fermé. Entre juin 1967 et novembre 1973, les deux rives du canal ont été fortifiées par l’Égypte et par Israël. La réouverture du canal est intervenue le 5 juin 1975.Cette fermeture a entraîné pour l’Égypte une perte de devises considérable, puisque les droits de passages atteignaient, en 1966, 95 millions de livres égyptiennes. L’Égypte n’a d’ailleurs pas été seule atteinte; Harold Wilson déclarait, en octobre 1967, que cette fermeture, avec toutes ses conséquences, coûtait à la Grande-Bretagne 20 millions de livres par mois.Par contre, le transport du pétrole n’a pas été profondément perturbé, comme on aurait pu le craindre, et son coût n’a pas été sensiblement augmenté. Le pétrole est de plus en plus transporté par de grands tankers, de 200 000 t et plus, qui de toute façon, n’auraient pas eu accès au canal. Dès 1966, on estimait que les coûts de transport par Suez et par Le Cap étaient équivalents (39 cents par baril). Enfin, une nouvelle voie s’est ouverte au pétrole, celle des oléoducs mer Rouge-mer Méditerranée. L’oléoduc israélien Eilat-Haïfa a été doublé et utilisé dès 1967 pour le transport du pétrole non arabe.
Encyclopédie Universelle. 2012.